Voici un parcours étonnant, celui d’un inconnu complet qui nous donne pourtant une leçon magistrale de courage, de résistance non-violente et d’empathie. Jeff Knaebel (1939-2011) avait en Amérique tout pour lui : famille, fortune et reconnaissance. C’était un ingénieur, ayant servi son pays au Vietnam, et rendu fort riche par son travail dans des mines d’or en Alaska.
Un jour pourtant, il décide de tout quitter : richesse, confort, sécurité, réussite, tout. Et il commence, seul, complètement incompris de sa famille et de ses proches, à expérimenter la leçon de Gandhi et de tant d’autres sages qui nous appellent, nous Occidentaux, à des vies moins consuméristes et plus en cohérence avec notre environnement.
Sa première désillusion se fait par rapport au simulacre de démocratie en place dans les pays riches où l’illusion est entretenue qu’en conservant la liberté d’un choix entre plusieurs candidats servant tous la conservation d’un système mortifère il serait possible, une fois tous les 4, 5, 7 ans, de réellement parvenir à une réelle justice sociale. La démocratie en laquelle Jeff croit n’est pas celle-ci et il invite chacun-e à entrer pleinement dans sa capacité d’action et de mise en oeuvre de solutions.
Jeff comprend qu’en payant ses impôts, les fruits de son travail ne servent pas à construire des écoles, à promouvoir la justice dans les réserves des Indiens et à valoriser une agriculture libérée des forces industrielles. Il contribue directement à la puissance militaire américaine, au chaos, à l’injustice et à la corruption. Cette prise de conscience (influencée par le travail d’Howard Zinn) est le point de départ de sa désobéissance. Il tourne le dos à l’Amérique, pressentant que le réveil viendra d’ailleurs, de peuples ou pays encore liés à leurs traditions pré-industrielles, encore sensibles à certains arguments et pas encore anesthésiés par l’inaction que l’excès de confort induit partout.
A plus de soixante ans, il se fixe donc en Inde où, soutenu par de nombreux disciples de Gandhi, habité par une forte recherche spirituelle et déployant une énergie extraordinaire, il sillonne le Nord du pays à pied pendant des mois pour expliquer aux paysans les dangereux mirages du développement “à l’américaine” (stérilisation des terres par les intrants, destruction de cultures traditionnelles par les semences hybrides, pollution de l’eau et des sols, désertification, exode rural...). Ne supportant plus "la honte d’être Américain", la destruction publique de son passeport a été l’un des actes marquants de son parcours de désobéissant non-violent.
